Les exportations de cacao sont un moteur de déforestation en Côte d’Ivoire
Les négociants en produits de base Cargill, Olam, Barry Callebaut et Touton sont exposés à des niveaux élevés de déforestation en Côte d’Ivoire. Dans ce pays, 2,4 millions d’hectares de forêt ont été défrichés au cours des deux dernières décennies, principalement afin de produire du cacao pour les fabricants de chocolat en Europe.
Unloading sacks of cocoa at Abidjan port, Côte d’Ivoire (Godong/Alamy Stock Photo)
Des dirigeants du monde entier se réunissent en Égypte à l’occasion de la conférence sur le climat COP27 surnommée la « COP africaine ». Un des thèmes clés concerne le rôle de l’agriculture dans la réduction des émissions, l’adaptation au changement climatique, ainsi que la réalisation de la sécurité alimentaire sur le continent.
En Côte d’Ivoire, pays d’Afrique de l’Ouest, la production de cacao constitue la principale cause de déforestation. Selon une nouvelle analyse de Trase et de ses partenaires de l’UCLouvain, entre 2000 et 2019, 2,4 millions d’hectares (Mha) de forêt ont été remplacés par des plantations de cacao, une superficie presque équivalente à la taille du Rwanda. Cela représente 45 % de la déforestation totale et de la dégradation des forêts du pays.
En 2019, 25 % de la superficie utilisée pour la production de cacao en Côte d’Ivoire étaient situés dans des zones « protégées » et des réserves forestières, telles que répertoriées par la législation environnementale locale. La faible gouvernance signifie que ces lois sont rarement appliquées.
La Côte d’Ivoire est le plus grand producteur mondial de cacao, produisant environ 40 % de l’approvisionnement en fèves de cacao. Près des deux tiers de son cacao sont exportés vers l’UE et le Royaume-Uni, où il est utilisé pour fabriquer du chocolat.
Révéler la déforestation dans les chaînes d’approvisionnement des négociants
Les négociants en produits de base et les entreprises de confiserie qui achètent du cacao en Côte d’Ivoire sont confrontés à des risques réglementaires et de réputation croissants du fait de leur association à la déforestation. L’UE est en train de mettre la touche finale à un règlement visant à interdire l’importation de produits de base cultivés sur des terres déboisées. En vertu de ce règlement, les entreprises seront tenues de mener un processus de diligence raisonnable dans leurs chaînes d’approvisionnement et de démontrer que leurs produits ne causent pas de déforestation.
L’analyse de Trase laisse entendre que les entreprises auront du mal à respecter ce règlement, car l’origine de plus de 55 % du cacao de Côte d’Ivoire est impossible à identifier, soit parce qu’il est acheté indirectement par des négociants auprès d’intermédiaires locaux, soit parce qu’il est exporté par des négociants qui ne divulguent aucune information sur leurs fournisseurs.
Trase est en mesure de calculer l’exposition à la déforestation des négociants en cacao en Côte d’Ivoire grâce à l’analyse de la production de cacao et des données commerciales de 2019, combinées à une cartographie satellite de la déforestation sur la période de 2000 à 2015, afin de relier les régions productrices de cacao aux marchés d’exportation où il est consommé.
Les résultats montrent que les exportations de Cargill en 2019 ont été exposées à 183 000 ha de déforestation (2000-2015), devant celles d’Olam avec 165 000 ha, de Barry Callebaut avec 158 000 ha et de Touton avec 99 000 ha. Dans l’ensemble, 58 % de l’exposition à la déforestation proviennent de sources dont on ne connait pas l’origine, qui sont indirectes ou inconnues. L’UE est exposée à 838 000 ha de déforestation due au cacao ivoirien, 56 % provenant de sources dont on ne connait pas l’origine.
La plupart des négociants en cacao sont légèrement moins exposés à la déforestation par tonne d’approvisionnements de cacao d’origine connue par rapport à la moyenne des approvisionnements d’origine inconnue. L’exception est Touton, qui a une exposition à la déforestation légèrement plus élevée par tonne de cacao d’origine connue, car cette entreprise s’approvisionne dans des régions où le taux de déforestation est plus élevé ; par exemple, 18 % du cacao de Touton acheté directement proviennent de Guiglo, un département où une déforestation considérable a eu lieu.
La traçabilité est insuffisante par rapport aux exigences de diligence raisonnable de l’UE
L’Initiative Cacao et Forêts (ICF) est un partenariat entre 35 entreprises de la chaîne d’approvisionnement du cacao et les gouvernements de Côte d’Ivoire et du Ghana. Elle vise à mettre fin à la déforestation due à la culture du cacao et à améliorer les moyens de subsistance des producteurs de cacao.
L’ICF s’engage à atteindre une traçabilité à 100 % de la chaîne d’approvisionnement. Le rapport d’avancement 2021 de l’ICF indique que ses membres ont cartographié 72 % de leurs fournisseurs. Cependant, cela ne concerne que les fournisseurs directs et pas les sources indirectes. Trase estime que les négociants de l’ICF n’ont cartographié qu’environ les deux cinquièmes de la totalité des plantations ivoiriennes qui les approvisionnent, ce qui représente moins d’un quart des exportations annuelles de cacao du pays.
Même si la traçabilité effectuée par les négociants est plus importante pour les exportations de cacao à destination de l’UE, pour lesquelles une plus grande proportion de plantations a été cartographiée, ainsi que pour les approvisionnements via les coopératives agricoles, où la cartographie est plus facile à réaliser, il reste encore beaucoup d’efforts à accomplir avant que l’origine de tout le cacao puisse être reliée aux plantations.
Passer de l’individualisme à la collaboration
Les mesures axées sur la demande visant à accroître la traçabilité, telles que le projet de réglementation de l’UE, constituent un bond en avant apprécié. Cependant, elles sont insuffisantes pour lutter contre la déforestation, en particulier concernant le cacao, pour lequel une grande partie de l’approvisionnement provient de sources indirectes.
Une approche paysagère ou juridictionnelle offre la possibilité aux négociants et aux entreprises d'œuvrer au-delà de leurs chaînes d’approvisionnement individuelles pour améliorer la gouvernance et la planification de l’utilisation des terres, grâce à une collaboration formelle avec les parties prenantes, notamment le gouvernement central et local, les agriculteurs, les communautés et les organisations de la société civile, non seulement pour le cacao, mais aussi pour toutes les utilisations des terres dans la région.
L’ICF constitue un pas positif dans cette direction, mais l’initiative n’a jusqu’à présent guère fait plus que regrouper quelques projets individuels d’entreprises en matière de développement durable. Pour mettre un terme à la déforestation et répondre de manière significative aux objectifs de la « Feuille de route du secteur agricole vers 1,5 °C » récemment annoncée, le secteur doit axer ses efforts sur des projets collaboratifs à grande échelle ; par exemple, en finançant conjointement du personnel et des équipements pour les efforts de suivi et de protection des forêts dans les régions productrices de cacao, et en mettant en œuvre un système de traçabilité national transparent.
Les parties prenantes participant à la COP27 pourraient profiter de l’occasion pour encourager des mesures visant à soutenir un secteur de petits exploitants agricoles résilient et diversifié en Côte d’Ivoire et dans le monde entier, qui protège les forêts dont l’agriculture dépend.
L’auteure remercie Erasmus zu Ermgassen, Patrick Meyfroidt, Vivian Ribeiro et Mathil Vandromme pour leurs précieuses contributions à cette étude.
Consulter les nouvelles données sur le cacao de Côte d’Ivoire sur les Chaînes d’approvisionnement de Trase
Lire l’étude Transparency, traceability and deforestation in the Ivorian cocoa supply chain, Renier et al 2022 (pré-impression)
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